P H I L O S O P H I E
L E C O U T E A U :
U N E F A Ç O N D ' É C O U T E R
Fabriquer des "couteaux" n’est pas pour moi une simple activité mais bien un mode d'existence.
Un couteau n'est pas un objet comme les autres. C'est le premier outil de l'humanité. C'est également potentiellement une arme. Il renvoie au coeur de chaque homme. À un coeur sombre il servira la violence; à un coeur lumineux il permettra de rompre des entraves ou de cuisiner. C'est aussi un objet plus ancien que toutes nos différences (sociales, culturelles, intellectuelles, etc.). C'est pourquoi je crois que cet objet ancestral est le parfait lieu d'où essayer de comprendre l’humain et d'apprendre à écouter.
À L ' A F F Û T
Au fil de mes années de travail j'ai compris que si on voulait vraiment écouter il fallait être discret et laisser la place à des matériaux, à des formes et des gestes simples. Donner aux objets réalisés une grande qualité de présence sans rien imposer et essayer d'être à l'image des objets que l'on crée.
Je n’ai jamais fait de publicité, je ne suis pas présent sur les réseaux sociaux, je n’ai jamais visé l’obtention du moindre prix. J’aime travailler en restant « au bord » du monde et concentrer ma capacité attentionnelle à quelques rares et véritables rencontres. Affût-er son regard cela veut dire le densifier, le ralentir, le rendre curieux, le faire se porter sur les individus, le monde matériel, les non humains, les idées.
F A I R E A T T E N T I O N
Le couteau est un objet dont le charisme repose fondamentalement sur l'attention que l'on doit porter à ce qui nous entoure. On ne peut mettre un couteau dans les mains de quelqu'un que si on a un minimum confiance en lui. Fabriquer des couteaux c'est vivre en permanence dans un état "attentionnel" particulier : c'est faire attention à ses doigts, à son éthique d'artisan, être attentif à la personne pour qui je le fais, à l'univers dans lequel il viendra s'inscrire ou auquel il donnera éventuellement accès. C'est se pencher sur la belle vulnérabilité des individus, des gestes. C'est essayer de propager une qualité relationnelle parce qu'attentionnelle. Le couteau est un médiateur d’attentions.
Voilà pourquoi à mes yeux le couteau peut non seulement témoigner d'une rencontre passée mais pourquoi il recèle aussi la possibilité d'en engendrer de nouvelles. Couper ce n'est pas seulement séparer, c'est aussi désigner une unité originelle, menacer d'une rupture définitive, maintenir une tension, une attention, se maintenir sur le fil d'une rencontre toujours possible.
Chaque jour je vis une autre rencontre dont le couteau est le "lieu" : celle de ma tête et de mes mains. Je ne peux concevoir mon activité de coutelier en dehors de mon activité de philosophe et inversement. Il y a de l'atelier dans mon bureau et du bureau dans mon atelier. C'est en plein coeur de cette hybridité que je veux continuer à développer mes différents projets.