Philosophie
J’ai commencé à fabriquer des couteaux il y a de cela plusieurs années maintenant. Au tout début, j’étais loin d’imaginer toutes les richesses qui pouvaient se cacher derrière un objet apparemment aussi simple. Et pourtant, quand on entre dans cette passion on est comme entièrement aspiré : par tout ce qu’il faut apprendre, et qui reste à apprendre (la forge, les traitements thermiques, le montage des manches…) ; par toutes les possibilités qui s’ouvrent à nous en terme de formes, de matières, de design ; par les rencontres humaines que l’on peut faire parmi les couteliers, les amateurs et les clients. Totalement conquis par ce monde, j’ai donc décidé d’y consacrer une grande partie de mon temps et de vivre selon des valeurs telles que celles-ci :
- Le travail sur des pièces uniques.
Dans un monde où tout est calibré, où nous possédons tous les mêmes choses, la pièce unique réenchante ce qui nous entoure, elle redonne une identité véritable aux objets dont on se sert. Un couteau artisanal est un couteau qui a été fait par une personne que l’on peut rencontrer, un couteau dont on connaît tout de la fabrication et des matières qui le composent : l’origine des bois, des aciers etc. Cette pièce unique est également le résultat du respect de multiples procédures telles la forge, les traitements thermiques, l’utilisation des bois et des aciers, la conception du dessin, de l’ergonomie, etc.
- La valorisation d’une autre conception du temps.
Chaque étape de fabrication a sa propre temporalité : polir une lame à la main, ou encore révéler un damas, peaufiner la finition d’un manche en bois, chaque opération a son propre rythme. Cela demande du temps et donc de sortir un peu de cette course à la production. Vivre en prenant le temps d’essayer de faire bien les choses est désormais un luxe qu’il me semble important de défendre.
- Une remise en question permanente.
Essayer de toujours faire mieux, confronter ce que l’on croit savoir avec les résultats du terrain, avec les expériences d’autres couteliers, avec les demandes des clients qui parfois frôlent les limites de notre savoir-faire. Je crois que les couteliers sont tous les mêmes de ce point de vue, ils ne sont jamais contents du couteau qu’ils viennent de terminer, et sont toujours à la recherche de l’objet parfait, du couteau dont ils seront réellement satisfaits. Malheureusement ils ne le fabriqueront jamais et il ne leur reste alors plus qu’à faire de nouveaux dessins, de nouveaux essais, de nouvelles pièces…
- Une attention particulière aux individus et aux autres.
Fabriquer un couteau c'est espérer créer une vraie rencontre entre le futur utilisateur et la pièce que l'on a imaginée pour lui. Pour cela, il faut vraiment prendre le temps d’écouter et de comprendre ses choix esthétiques, ses pratiques (usages prévus, milieu d’utilisation), d’adapter le couteau à sa physionomie (taille de la main par exemple). De plus, il faut un minimum de confiance pour remettre un couteau à quelqu’un tant au niveau du soin qu’il en prendra que dans sa future façon de l’utiliser. C’est effectivement à l'utilisateur qu’il revient de le faire vivre. Dans ses mains, il peut être un ustensile utile pour faire la cuisine à ses amis, le compagnon d'une vie de plein air ou devenir un moyen de défense ou même une arme. Un couteau n'est ni bon, ni mauvais, il renvoie chacun à sa responsabilité et à sa façon d'être dans ce monde. Il y a une forme d’humanisme à confier un couteau que l’on a fabriqué à un individu que l’on ne connaît que partiellement. Fabriquer des couteaux permet de dépasser, pour un temps, les clivages socio-culturels si souvent présents entre les individus. Le couteau intéresse tout le monde, quels que soient son éducation, son pouvoir d’achat. Ayant eu l’occasion d’évoluer dans différentes sphères de la société (recherches universitaires, btp, activités de tourisme, et travail manuel …), c’est une dimension essentielle pour moi que de pouvoir croiser de nombreuses personnes d’origines multiples.